En tant que prêtre serviteur de Cernunnos, Taliesin livre ici l’approche issue de son expérience. Il s’agit d’un reflet qui ne dit pas tout, l’essentiel étant, selon la Tradition, transmis par l’oralité. L’écrit ici ne remplace pas l’expérience de chacun que nous vous invitons à vivre au sein des cercles sacrés, dans le cadre de cérémonies auprès des sacerdotes, avec leur soutien et leur accompagnement.
Cernunnos, Dieu de Vie
Il me paraît pertinent de rappeler que cette divinité est le Dieu de la Vie dont il est le garant et non le Dieu « de la Nature » : le grand Cornu n’a pas la maîtrise du monde végétal, ni du monde minéral avec qui il collabore. Il s’inscrit dans le Panthéon de la Vie avec les Aînés Aesus et Airmid (le monde végétal) et la divinité liée aux champignons et, comme eux, il demeure très « sensible » aux cycles solaires et aux transformations liées aux saisons, d’où l’attribution au Grand Cornu par les Celtes de cornes de cerf notamment.
Considérations diverses et figées sur le Grand Cornu
Certains disent du Grand Cornu qu’il est une divinité uniquement gauloise s’appelant « Cernunnos ». Certains peuples ou ethnies de Gaule l’ont nommé ainsi à leur époque, ce qui en soi permet de savoir de nos jours de quelle divinité nous parlons en lien avec notre continent, mais cela n’en fait pas pour autant un dieu « gaulois » au sens strict puisque son culte est plus ancien que les Celtes, et encore moins un « Dieu Cerf ». Le Grand Cornu et sa Prêtrise ne sont pas liés à un seul peuple et encore moins à une culture et une tradition uniques. Présent sur toute la planète, sous des formes diverses et des noms variés également, suivant les traditions qui résonnent dans les pays et les continents, cette divinité est le garant du feu de la Vie, des forces génésiques et le protecteur (à un certain niveau) du monde animal, dont l’homme fait partie.
D’autres considèrent Cernunnos comme un dieu « total », qui rassemblerait de multiples aspects symboliques, universels et « cosmiques », et qu’il serait médiateur « entre le Ciel et la Terre ». Cela déploie l’idée que Kernunos1, par une souveraineté qu’il détiendrait, assumerait une suprématie sur tout, et de ce fait supplanterait les autres divinités et surtout les Aînés. Du point de vue de la Tradition et de mon expérience, cette position n’est pas tenable. Il faut apprendre à dépasser l’héritage figé, que l’on trouve notamment dans les livres, et savoir à mon sens dépasser les considérations symboliques, les interprétations intellectuelles et les fantasmes, chercher la relation avec la divinité et se laisser œuvrer par elle.
Enfin, certains l’inscrivent dans un « bithéisme » en l’associant à « LA Grande Déesse »2, quand il ne devient pas un beau gosse body-buildé romantique avec des cornes sur la tête arpentant des bois aux fées – illustration fantasmatique qui pullule partout sur internet. Réduire le Grand Cornu à un homme séduisant, « cool et fun » embrassant sa belle, personnage fortement humanisé et virilisé, tout en occultant soigneusement l’animalité inhérente à Kernunos, est à mon sens réducteur, pour ne pas dire caricatural et entretient l’ignorance.
Kernunos est puissance instinctive et sexuelle et n’a pas à ma connaissance de déesse parèdre parmi toute celles qui œuvrent3. Et, sur le plan sacré, ce sont les Prêtres et les Prêtresses du Cornu qui signifient et rendent dynamique la polarité sexuelle qui se joue dans le monde vivant.
- Le Dieu n’a que faire de la façon dont est orthographié son nom. Je pourrais aussi l’écrire « Kernounos », qui est la transcription de la façon dont il m’arrive de le nommer.
- À titre de druidisant sacerdote, il n’y a pas pour moi de « Grande Déesse » mais plusieurs Déesses.
- Au nom de la Tradition, ma Prêtrise ne peut également cautionner la représentation systématique de couples de divinités et du syncrétisme divin, héritage du celtisme, tel que le couple Rigani avec Cernunnos mélangé avec Esus et Taranis par exemple.
Emblème de la prêtrise de Kernunos
Avec Cernunnos, les instincts, les puissances sauvages, primaires et sexuelles sont à l’œuvre
Relié au Chaudron du bas, du Ventre, Kernunos est esprit brut et sauvage qui déploie et libère en les êtres animés les puissances sexuelles, les forces de fécondation et de fertilité et surtout les instincts. Ensemenceur, il représente ainsi l’état de nature dans son aspect le plus libre, affranchi de l’état de culture. Il est l’initiateur sexuel des hommes et des femmes par le serpent, et son animalité invite le païen à s’affranchir des normes et à écouter ses instincts.
Avec le Cornu, il ne s’agit pas de « dépasser » notre dimension d’être instinctif et sauvage, ni de refouler les forces primales et les peurs en soi, mais de pleinement accueillir ces dernières, d’en jouir, apprendre à les connaître par l’expérience du corps, en considérant qu’elles font partie de notre état de nature.
L’être humain est un animal et doit l’accepter avec courage, non ranger cet état de fait sagement derrière une triplicité et une vision intellectuelle et rassurante de Kernunos.
Cernunnos Dieu de Vie, d’essence de mort : son lien à l’Autre-Monde
Par les cornes, le Géant aux animaux est connecté à l’Autre-Monde (nommé Sidh dans les textes irlandais), dont il traverse les strates. Il protège des lieux spécifiques interfacés au Sidh. Il est anima (dans le sens premier et non sens jungien) qui toujours circule entre l’Autre-Monde et notre monde. Cernunnos est un arpenteur des mondes, un marcheur du monde sauvage qui n’œuvre pas systématiquement dans les forêts. Toujours il se déplace, nomade entre les mondes. En aucun cas il n’est le Gardien de l’Autre-Monde comme je l’ai vu trop souvent écrit, cette fonction étant réservée à l’Aîné Sucellos. Il est encore moins un Dieu en lien avec la Mort, domaine entre autre réservé à l’Aînée Ahès. Le Dieu Cornu, qui défend la Vie, ne lutte pas contre la Mort – ceci serait une aberration au regard des lois naturelles et de la Coutume, car Vie et Mort sont intrinsèquement liés en fin de compte, créant la dynamique fondamentale du Vivant et du Mort. Mais Cernunnos se situe dans un principe créateur de Vie et de potentiel. Il porte concentré en lui la flamme de la Vie qu’il déploie dans la reproduction de tous les animaux.
Ce texte Cernunnos Dieu de Vie est un extrait d’un article plus complet publié dans un numéro spécial de la revue druidique la Voix d’Ys.